J’ai toujours été fasciné par la capacité –ou parfois l’incapacité– des structures à conjuguer l’évolution rapide de leur environnement et leur propension à muter dans l’optique de s’adapter à ces changements. Certaines réussissent, au point d’adapter leur business model tout entier aux tenants et aux aboutissants de leur contexte, et d’autres échouent, mettant parfois leur pérennité en danger, ou pire. L’un des cas les plus connus du 21ème siècle est la capacité à intégrer le social media dans leur activité, avec encore beaucoup de travail pour bon nombre d’acteurs, malgré le fait que les réseaux sociaux dits « modernes » tels que Facebook vont bientôt fêter leur… quinzième anniversaire.
D’une manière générale, l’appréhension de cet environnement est plutôt bonne : les entreprises perçoivent la nécessité d’y consacrer un degré plus ou moins élevé d’énergie selon l’exigence de leurs parties prenantes, élargissent leur regard à l’ensemble des plateformes intégrant une dynamique sociale (sites d’avis, etc.), mesurent la nécessité d’avoir une approche mobile first dans leurs prises de parole, conçoivent que cet environnement génère son lot à la fois d’opportunités et de menaces, et vont jusqu’à envisager de faire contribuer leurs collaborateurs à l’effort de guerre. Il est tout à fait raisonnable de dire que tout va dans le bon sens, et que peu à peu, de nombreuses entités remportent le challenge.
Pourtant, et c’est ce qui motive la rédaction de cet article, le Social Media est victime d’un drôle de paradoxe : alors que la compréhension du phénomène évolue d’année en année, l’évolution de l’organisation des structures en elle-même pour l’appréhender de manière efficace reste tristement au point mort. Au delà du fait qu’accumuler du retard dans cet environnement est encore considéré comme tolérable (ce qui, en soit, est intolérable), ce qui me dérange le plus est que les problématiques liées à ce domaine sont confiées dans la majorité des cas aux équipes chargées de la Communication, telle une patate chaude dont on aime n’entendre parler qu’une fois par trimestre lorsque la communauté grossit.
Et c’est justement là où le bât blesse. Car s’il y a bien un phénomène nouveau –si j’ose dire– qui bouscule aujourd’hui l’ensemble de la chaîne de valeur des structures, c’est bien le Social Media. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette terminologie, imaginez que la chaîne de valeur est une matrice imaginée en 1982 par l’Américain Michael Porter et qui modélise les principales activités d’une entité, qu’elles soient dites « de base » (ce qui crée de la valeur, de l’approvisionnement à la commercialisation) ou « de soutien » (ce qui est nécessaire pour performer, des infrastructures aux ressources humaines). Il s’agit, à ce jour, de la manière la plus simple et efficace de présenter l’organisation d’une entreprise, bien que les années aient eu raison de la pertinence ou mis en exergue l’absence cruelle de détail dans certains maillons.
Revenons à nos moutons. Le social media peut jouer un rôle décisif dans de nombreux maillons de la chaîne de valeur, au delà de la Communication qui n’est d’ailleurs qu’un élément constitutif du maillon « Marketing et Ventes », un « P » qui se noie peu à peu dans une liste toujours plus longue de « P Marketing » (les fameux « 4P » ayant peu à peu laissé place aux « 7P », et désormais aux « 10P » grâce à l’emblématique Seth Godin). Voici quelques exemples d’activités au sein desquelles les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle-clé :
- Achats : il n’y a qu’à parcourir les nombreux groupes LinkedIn rassemblant des communautés d’acheteurs dans des domaines très variés, et regroupant parfois plusieurs milliers de membres, pour comprendre que cela fait déjà plusieurs années que les Achats sont désormais concertés, voire peut-être même collaboratifs, dans l’optique de la meilleure Décision et du meilleur Prix. Pourquoi acheter seul lorsque l’on peut confronter ses choix à ceux de confrères et consœurs via les réseaux sociaux professionnels ?
- Approvisionnements : cette activité peut s’avérer complexe, et la meilleure manière d’affronter la complexité est de communiquer un maximum. Pour ce faire, de nombreuses solutions de « réseaux sociaux internes » dédiés aux entreprises existent, telles que Workplace de Facebook par exemple, ce qui peut grandement faciliter la manière dont les approvisionnements sont effectués grâce à des notifications en temps-réel, et bien entendu à portée de main grâce aux smartphones
- Ventes : tout chargé de clientèle vous le dira, plus la connaissance de son interlocuteur et la qualité des échanges est importante, plus la transformation est au rendez-vous. Ce à quoi répondent parfaitement les réseaux sociaux : s’ils permettent de parcourir le CV de ses futurs rendez-vous (et pourquoi pas d’identifier des points communs, comme une école par laquelle tous deux sont passés par exemple), ils offrent aussi la possibilité de proposer une grande disponibilité et adaptabilité grâce aux échanges en messages privés, parfaitement adaptés aux usages des consommateurs
- Marketing (hors communication) : les réseaux sociaux fascinent par leur capacité à retranscrire le pouls du monde, et il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même au sujet de votre activité. Il y a potentiellement des milliers de discussions publiques à votre sujet, et la collecte et l’analyse de ces données offrent de grosses opportunités à une échelle macro (rayonnement concurrentiel, identification des critères d’achat, etc.) mais également à une échelle micro (affinage du détail de ses persona-cibles, collecte et restitution de problèmes sous-jacents, etc.)
- Services : il n’y a nul doute que la relation clientèle et le service après-vente se digitalisent avec les années, aux prémices d’une nouvelle ère durant laquelle il se robotise également (via l’essor des chatbots notamment, dont nous aurons l’occasion de reparler à d’autres occasions). En attendant, les consommateurs ont l’habitude d’utiliser les réseaux sociaux, rechignent de plus en plus à patienter au bout d’un combiné, et attendent des marques qu’elles soient disponibles sur ces nouveaux espaces. Que faut-il de plus pour amorcer une ouverture de sa relation client aux réseaux sociaux et une formation de ses équipes ?
- Ressources Humaines : aucune surprise pour cette activité, puisque cela fait désormais de nombreuses années que les recruteurs poussent leurs annonces de recrutement sur les réseaux sociaux professionnels et / ou qu’ils passent en revue le CV de certains candidats. Mais le potentiel ne s’arrête pas là : les réseaux sociaux facilitent nettement la chasse de profils spécifiques et permettent d’une manière générale de cultiver son attractivité à travers une stratégie de marque employeur
- Recherche & Développement : il est de plus en plus rare de se retrouver confronté à un domaine dans lequel une curation « experte » de contenu n’est pas disponible sur les réseaux sociaux. S’ils permettent bien entendu de faire de la veille d’image, de la veille concurrentielle, de la veille règlementaire, de la veille financière ou pourquoi pas de la veille commerciale, ils offrent aussi la possibilité de procéder à une veille métier assidue et ainsi de faciliter le Développement de part le niveau de connaissance et d’alerte des collaborateurs concernés
- Infrastructure : cette activité est un peu particulière puisque les réseaux sociaux n’œuvrent pas forcément en sa faveur, ce sont plutôt les infrastructures qui peuvent œuvrer en faveur des réseaux sociaux. De nombreuses entreprises peinent à valoriser leurs présences sociales, sans pour autant penser à l’opportunité que représentent leurs agences physiques ou leur flotte de véhicules ! Parfois, un poster sur un comptoir ou un sticker sur une voiture génère des résultats spectaculaires. Et si la mise en avant des actifs online passait déjà par le potentiel offert par les actifs offline ?
Donner ces exemples en quelques lignes n’est pas chose aisée (et c’est sans parler de la Communication, avec les problématiques –par exemple– de gestion de crise qui lui sont rattachées). En réalité, chaque activité mériterait son propre article, tant les possibilités sont nombreuses, et les opportunités, réelles. Et c’est justement ce qui me fait penser que les entreprises devraient penser des plans d’action Social Media pour chacune de leurs activités ! Mais comment y parvenir lorsque, comme nous le rappelions au début de cet article, la majorité des structures confient le Social Media à leur service Communication, disposant au mieux d’une vision à peu près transverse de l’ensemble de la chaîne de valeur, traitée au pire comme une bizarrerie dont le seul but est de générer de la transformation ?
Limiter les réseaux sociaux à un service spécifique est malheureusement le meilleur moyen de s’assurer que les bénéfices Social Media seront principalement concentrés dans le service en question. C’est la raison pour laquelle je recommande de confier les rênes du social media non pas à un service, mais à un social media manager directement rattaché à la Direction si cela est possible, qui n’appartient à aucun service –ou silo– et dont la vision et l’activité est la plus transverse possible.
En 2017, la mission du social media manager doit bien entendu être de prendre la parole, mais également de conseiller sa Direction, d’écrire des histoires séduisantes à fort impact, de mesurer et d’analyser la performance aussi plurielle qu’elle soit, de sensibiliser les décideurs aussi nombreux qu’ils soient ou encore de former et de coacher les contributeurs opérationnels, à leur tour chargés d’acheter, de vendre, de faire de la veille, de recruter ou d’échanger avec les parties prenantes. Qu’il s’agisse d’une évolution de poste ou d’un recrutement, et sous condition que votre organisation soit structurée de manière adéquate, vous pouvez d’ors-et-déjà considérer cet investissement comme une opportunité et non comme un risque, car nous ne sommes encore –malgré tout– qu’aux prémices d’une époque toujours plus connectée, toujours plus exigeante, au sein de laquelle le Social Media occupe une place toujours plus importante.
Et si vous estimez qu’il vaut mieux ne rien faire que de mal faire, comme je l’entends souvent –à raison– chez nos clients, forcez vous à sortir de votre zone de confort et dites vous qu’il vaut mieux faire… que de ne pas faire, au risque de finir comme ces fameuses entités qui ne parviennent pas à muter.
Crédit Photo intro : nan palmero via VisualHunt.com / CC BY
Crédit Photo chaîne de valeur : Actinnovation